Déjanté mais quand même sérieux : Un parlement mondial

Il suffit de lire quelques lignes du synopsis du dernier spectacle de Milo Rau, metteur en scène suisse, disciple de Bourdieu, pour  se faire une idée du sujet : refaire le monde, en commençant par montrer du doigt ce qui ne va pas…

  • Comment atteindre une représentation adéquate de la population?
  • Comment pallier aux maux de l’humanité?
  • Comment créer un système politique qui soit à même de régler les problèmes « globaux » de  notre temps : guerres, pauvreté, changement climatique, etc.

Pour refaire le monde, il y a l’idée centrale qu’un parlement mondial serait à même de résoudre les plus gros problèmes d’un « tiers état » de notre temps, qui comme à l’époque de la révolution française, souffre de ne pas être représenté (liens: IPPM, World Parliament). Et c’est bien un fait : les plus gros maux touchent une population marginale et insignifiante  (qu’ils soient des milliers, ou même des millions). Ce sont les migrants de la méditerranée qui brûlent leurs papiers avant de s’embarquer ; les pauvres en Europe qui ne prennent même plus la peine de s’abonner aux minima sociaux ; les populations du Congo, ou de la Centrafrique, terrorisées par des décennies de guerres civiles.  Autre exemple: la guerre de Syrie. La population d’une ville martyre comme Alep n’ayant pas de représentation légitime établie sur la scène internationale fait que d’une part, aucun parti ou organisation représentant les intérêts des populations civiles n’a pu tenter de contrer les agressions subies par la ville, d’autre part  toute mesure prise par un autre parti ou organisation, voulant porter secours, se retrouva contestée et combattue, comme n’étant pas légitime, par l’agresseur lui-même ou ses alliés.  La non-représentation sanctionne doublement toutes les populations victimes de guerres, car elle ôte toute légitimité à n’importe quelle tentative de l’extérieur de faire cesser une situation, si catastrophique soit-elle. En d’autres mots, si Dieu lui-même venait en aide à une population en détresse,  il se trouvera encore certains pour hurler à l’ingérence.

C’est donc une idée simple et logique, que de penser que s’il existait un système de représentation universel de toute la population mondiale, une agression pourrait plus facilement être reconnue, dénoncée et combattue.  Adresser cette question de manière artistique et créatrice, comme le fait Milo Rau est un exercice intéressant, car on s’affranchit de cette manière de nombreuses contraintes  (réelles ou perçues comme telles dans la politique mondiale). C’est une règle bien connue que pour réussir un brainstorming, il ne faut pas se poser de limites. Se cantonner aux choses qui paraissent réalisables est donc la dernière chose à faire, quand on cherche avant tout des idées porteuses, qui vont peut-être guider les générations futures.

Je ne sais finalement pas ce qui est sorti du spectacle, mais celui-ci s’inscrit bel et bien dans le cadre d’un mouvement existant :  l’UNPA (United Nations Parliamentary Assemby), une campagne pour une assemblée parlementaire dans le cadre des Nations Unies.  Celle-ci est menée par un réseau de parlementaires et d’ONG du monde entier,  avec le soutien de quelques personnalités de premier plan : Boutros Boutros-Ghali (ancien secrétaire des Nations Unies), Sigmar Gabriel (ministre des affaires étrangères de l’Allemagne), Federica Mogherini (Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères) ; Michel Rocard (ancien premier ministre français décédé en 2016) était également un soutien de l’UNPA.  L’idée est de créer d’abord un parlement consultatif, dont les membres ne seraient pas élus directement, mais choisis parmi les élus des parlements nationaux qui composent les Nations Unies. Le fonctionnement, puis la crédibilité du parlement une fois établis, l’étape ultime serait la tenue d’un scrutin mondial direct, un peu sur le même modèle que les élections européennes.  Le fait de partir d’une base existante, réaliste, avec un plan de développement sur le long terme, avantage  l’UNPA par rapport à tous les autres projets utopiques de gouvernement mondial, marqués par deux difficultés majeures : premièrement, ils imaginent un système qui serait « idéal », qui garantirait la paix dans le monde, ce qui est difficile à démontrer ; deuxièmement, ils sont bien incapables d’expliquer ou de convaincre sur la manière dont la transition du monde actuel vers leur système « idéal » se ferait.

L’idée d’un parlement mondial est donc une petite graine qui probablement vaut la peine d’être semée. Il reste à se demander quels sont les facteurs, les influences qui permettraient à cette idée de croître. En étant largement divulguée, débattue, adoptée, elle pourrait devenir consensuelle, c’est à dire être adoptée comme « bonne » par une grande partie de la population mondiale, et des élites. Il importe que de nombreux partis, de nombreux groupes d’intérêts veuillent se l’approprier (pour des raisons peut-être très différentes). A l’échelle politique, certains gouvernements pourraient y être favorable, y voyant un moyen d’accroître la satisfaction de leurs citoyens, et donc d’affermir leur légitimité ; d’autres états pourraient y voir le moyen de limiter l’influence de certains états rivaux… Peut-être obtiendra-t-on ainsi une masse critique, un conjonction d’intérêts qui permettra à l’idée de gagner du terrain sur la scène politique. A suivre…

Le tardigrade, l’habitant du monde des trois soleils

Il y beaucoup d’idées fascinantes dans le roman de Cixin Liu « Le problème à trois corps », publié en France en 2014. Sans vouloir trop en raconter, je citerais les nano-filaments ultra-résistants, les multiples dimensions de la matière au niveau quantique, et bien-sûr le chaos dramatique d’un système planétaire comportant 3 soleils. Pourtant, au-delà de la fascination du récit, un certain pessimisme domine. On se prend à penser aux problèmes que l’humanité pourrait avoir, si les nouvelles inventions à venir tombaient entre les mauvaises mains. C’est déjà le cas pour l’arme nucléaire, cela va continuer pour la mise en réseau des ordinateurs, l’intelligence artificielle, et on ne sait pas quoi encore. Au delà du récit d’aventure, comme beaucoup d’histoires de science fiction (1984, Terminator) « le problème à trois corps » est aussi un avertissement sur le futur, un futur qui pourrait nous terrasser de manière fulgurante. l’Homme a beaucoup de dons, il a en particulier le don de fixer son attention et sa volonté, et de réaliser tout ce qu’il « sait » être réalisable, à ses risques et périls. Les machines intelligentes viendront. Peut-être se rendra-t-on compte, après plusieurs siècles de « problèmes », que, comme l’arme nucléaire, elles ne servent à rien…

Cixin Liu met en lumière le fait éternel que chaque lutte appelle une autre lutte, chaque haine une autre haine, chaque guerre une autre guerre. Son point de départ : la Révolution Culturelle en Chine, son point d’arrivée:  le présage d’une guerre titanesque encore à venir, laissant peut d’espoir aux humains, sauf s’ils se montrent inventifs, vaillants et travailleurs. La question qui reste en suspens est: les humains méritent-ils vraiment de (sur)vivre?

A part ces nouvelles peu réjouissantes, la découverte fascinante que j’ai faite en lisant ce roman, ce sont ces êtres pouvant se déshydrater à volonté pour résister à de longues périodes de sécheresse, de chaleur, ou de froid. Je prenait tout cela pour de la pure fiction, jusqu’à je tombe sur un article consacré au « tardigrade ». (Voir l’article de Wikipedia, pour savoir exactement à quelles conditions hallucinantes ce petit animal peut être exposé.) On estime qu’ en état d’anhydrobiose, le tardigrade serait capable de survivre dans l’Espace. Sur Terre, il pourrait résister à tous les cataclysmes possibles et imaginables…

Cixin Liu  a peut-être été inspiré par le « Ripper« , de Star Trek, une sorte de monstre spatial tueur doté de pouvoirs mystérieux. Entre une bête longue de 5mm et une créature complexe, il n’y a qu’un pas pour un scénariste ou un écrivain, mais quand même quelques millions d’années d’évolution pour la nature.  Mais… qui sait?  Peut-être que quelques gènes de ce animal nous seraient utiles pour résister à des catastrophes climatiques encore à venir?  (Et si nous avions déjà ces gènes en nous sans le savoir?) Il est également intéressant de voir que les créateurs de Star Trek on imaginé un « Ripper » en relation symbiotique avec des champignons, qui sont de loin la forme de vie la plus résistante aux conditions extrêmes.

Quoi qu’il en soit, « le problème à trois corps » est un livre à lire pour la virtuosité de ses idées, la découverte du monde des trois soleils, un monde où l’Histoire se répète indéfiniment, au gré des forces de gravitation. L’auteur nous fait réaliser que notre capital le plus élevé c’est une planète stable et accueillante. Nous devrions tout faire pour la conserver.

Les utopies concrètes

L’utopie est un non-lieu, un lieu qui n’existe pas, ou pas encore…  C’est un lieu qu’on peut imaginer, qu’on peut rêver. Les utopies ont également besoin de temps, il faut du temps pour arriver à cet endroit qui en théorie n’existe pas. Qu’à cela ne tienne, il nous faut cette idée pour nous sortir d’un cercle où tout tourne autour des mêmes choses.

Il y a cent ans, 80% des gens aimaient les idées nouvelles, les inventions, associaient celles-ci à une amélioration de la condition humaine. Seulement 20% avait peur. Le futur, même un peu fou, était cool! Aujourd’hui c’est l’inverse, notre société est fatiguée, a peur. Nous faisons face à l’excitation publique, l’amplification de tout ce qui est négatif. Pour contrer ce pessimisme, il y a des idées réalistes, productives, et surtout positives. Imaginer un nouveau type de nourriture, plutôt que  de rêver d’un menu quatre étoiles qu’on ne goûtera jamais ou de se disputer sur le partage d’un dernier morceau de pain rassi.

Le banc d’essai Hyperloop, dans le désert du Nevada

Dans la catégorie de gens qui apportent un avenir orienté sur la technique,  il y a ces entrepreneurs bourrés de pragmatisme, qui grâce à des utopies « concrètes », allient savamment l’intérêt général à leur intérêts et rêves personnels : Elon Musk, Jeff Bezos, Paul Allen…. C’est là aussi la renaissance d’un certain capitalisme anglo-saxon, qui se refait une santé grâce à son alliance avec les technologies vertes. Et certaines visions de ce capitalisme vert paraissent parfaitement justes ; elles paraissent pouvoir résoudre brillamment certains problèmes de notre temps. Tesla: alliance des énergies renouvelables et de l’automobile, Hyperloop: les avantages du train et de l’avion, sans leurs inconvénients. On serait tenté de partager cette euphorie ; oui, dans le contexte où nous sommes, les choses à venir seront peut-être meilleures que celles d’avant. En 2011, les experts en énergies renouvelables prévoyaient qu’en 2020, le prix du kilowatt-heure d’électricité éolienne allait passer en-dessous de celui du charbon, or cela arrive en 2017,  avec trois ans en avance. On se dit que parfois, il suffit de lancer la boule,  car si la pente est bonne, elle roulera toujours plus vite.

Pourtant, quand Elon Musk prétend qu’un base sur Mars sera pour bientôt, quand les milliardaires de la Silicon Valley investissent en masse dans la prolongation de la vie, (voire la vie éternelle…), cela rappelle une certaine mission Apollo. Quelques dizaines de milliards de dollars, quelques images de la Lune, un gigantesque coup de PR (Public Relations) qui en 1969 fascina le monde entier. Et après?  Y est-on retourné, sur la Lune? C’est là la différence entre idéal et réalité. L’idéal, s’il est réalisé ne mènera en lui-même à rien, mais ce sont ses retombées sur le long terme qui vont compter, son influence sur les décisions de toute une génération. Mais voilà, il n’est pas certain que ce qui marchait dans les années 1960 marchera encore en 2017 (lancer une idée, attendre que les foules s’enflamment, espérer des retombées positives).  Le contexte a changé. Notre optimisme béat envers le futur a changé…

Une autre catégorie d’utopies concrètes sont les utopies sociales que l’on voit émerger depuis une vingtaine d’année: décroissance, solidarité économique, environnementale, sites de partage, éco-villages, etc. (d’ailleurs, d’après certains, n’importe quelle utopie est d’abord et avant tout sociale).  Il y a un foisonnement d’idées sans cesse renouvelées, basées sur des principes simples,  changer les choses en commençant par la base, par les valeurs humaines. C’est une idée très rationnelle de partager ce que l’on a en trop, ou qu’on n’utilise pas beaucoup, et en même temps çà fait du bien de pouvoir aider quelqu’un, cela renforce les liens sociaux. Les utopies sociales ont néanmoins du mal à s’établir à grande échelle, à servir de modèle ; elles restent en marge de la société. C’est peut-être qu’on croit qu’elles sont réservées à des catégories vivant en marge de la société. Malgré leurs succès, elles manquent de « spectacle » ; personne ne prend des risques insensés, personne ne devient milliardaire, ni millionnaire ; il n’y a pas de quoi allécher les médias, toujours à la recherche de sensationnel.

Même en portant son attention sur bon nombre d’idées pleine de bon sens, de se projeter un permanence dans le futur,  il ne faut pas oublier l’immense masse de ceux qui ont peur, qui se sentent seuls, déclassés, culturellement à la dérive, et qui finissent par se comporter en égoïstes, ne croyant plus à l’honnêteté de quelque projet que ce soit.  Les utopies concrètes doivent être introduites de manière à résister au pessimisme ambiant, pour en finalement devenir le remède. Elles peuvent le faire car ce ne sont pas des idées lointaines et inutiles ; elles racontent une histoire plus humaine, plus efficace, plus respectueuse de l’environnement ; elles pourraient aussi  inspirer une nouvelle culture.