High-Tech, Low-Tech, question de style ou question d’argent?

une vielle machine à écrire, bonne pour le musée

19 Novembre 2019, je suis à la conférence GOTO de Copenhague. Les participants, tous férus d’ordinateurs, d’informatique, et de technique en général (on les appelle les « techies ») sont électrisés par les nouveautés du monde de la « Tech » et du software. Les annonces faites dans chaque domaine sont plus excitantes les unes que les autres.

Et à cette conférence, il y a aussi d’intéressants retours en arrière. Steve Wosniak, co-fondateur d’Apple raconte ses souvenirs et comment il tentait de construire un micro-ordinateur avec des composants de 1 dollar. Tout devait être « cheap », pas cher, parce qu’il n’avait pas les moyens de se payer les « gros » composants. Les ordinateurs étaient réservés à l’époque (dans les années 70) à une élite d’universités et de grosses entreprises. Et c’est ainsi qu’une architecture innovante, flexible, et surtout bon marché naquit, permettant de mettre un ordinateur dans chaque foyer. Pourquoi a-t-il voulu faire ça au lieu de se satisfaire de son emploi chez Hewlett-Packard, l’employeur de ses rêves? Voulait-il devenir riche et célèbre comme son associé Steve Jobs? Non. Son rêve était de créer l’ordinateur qui lui permettrait de s’amuser, de faire toutes sortes de jeux. Et Steve Wosniak de raconter à son audience que pour commencer une startup, il vaut mieux commencer avec des choses qui ne coûtent rien, ou très peu : « 0$ », et ne jamais oublier le « fun ». Y aurait-il là une recette? Est-ce que derrière la high-tech, il n’y aurait pas au départ de la low-tech ou encore de la cheap-tech?

Cherchons à définir les termes. « High-tech » est un anglicisme désignant tout ce qui tourne autour des nouvelles technologies. En principe, c’est ce qui est moderne, innovant, encore relativement inaccessible, parfois aussi cher, mais pas forcément. Ce sont des objets basés sur des techniques qui ont coûté d’importants efforts avant d’être développés. Beaucoup d’ingénieurs, d’informaticiens, et d’autre amateurs sont en permanence fascinés pas la high-tech. Mais, sincèrement, sont-ils fascinés par cette technique en elle-même, ou bien par la débauche d’argent et de moyens nécessaires pour la mettre en œuvre? La high-tech, c’est aussi la recherche d’un certain style de vie, plus rapide, plus performant.

Par opposition, on a défini la low-tech. Pourquoi? La high-tech est perçue comme source croissante de discriminations et d’inégalités basées sur l’accès aux technologies. Les causes peuvent être diverses: financières, liées aux connaissances, aux savoir-faire, ou alors à la culture ou aux modes de vie. On voit dans la high-tech une course sans fin menaçant gravement notre environnement (consommation de ressources, risques pour la santé, etc.) et nous-mêmes par la même occasion. Philippe Bihouix a tenté avec succès de définir les contours de la low-tech, et ses avantages pour la planète. Dans sa pensée, il s’agit tout autant d’un changement de mode de vie et consommation (« technologies sobres, durables, résilientes »). La low-tech, comme refus du « toujours plus », symbolise le retour à une meilleure gestion de nos ressources, à un mode de vie plus sain et plus équilibré.

Les tenants de la high-tech voient bien sûr dans la low-tech un retour en arrière inacceptable. Ils ne renonceront ni aux joujoux techniques présents, ni aux nouveautés trépidantes à venir. Ce sont eux qui parle de manière caricaturale du retour à l’âge des cavernes, quand on parle de low-tech. Et donc si l’on simplifie à l’extrême : la high tech c’est cher et intelligent ; la low-tech c’est simple et bon marché.

La croissance de la demande en énergie, de la demande en matières premières que nous vivons actuellement est intenable, mais de mon côté je pense que des produits high-tech peuvent répondre a certaines nécessités ; par exemple des produits 100% compostables, ou permettant de faire des économies substantielles de matières premières. Si un four à bois, c’est de la low-tech et un four solaire c’est de la high-tech, lequel des deux est meilleur pour l’environnement? Les produits low-tech ont la plupart du temps un rendement moins bon. Par contre ces produits sont dans une démarche responsable, où l’on se pose la question : comment faire plus avec moins (ce qui pousse aussi à faire des innovations).

Le constructeur chinois d’éoliennes Envision a annoncé le premier essai en grandeur nature d’un aérogénérateur utilisant des supraconducteurs. Les perspectives sont très prometteuses, puisqu’on pourrait ainsi économiser la moitié des matières nécessaires (en particulier les terres rares) à fabriquer un générateur électrique. Là, l’avantage est à la high-tech… Mais comme le dit Philippe Bihouix, la low-tech garde cependant un avantage indéniable : son accessibilité ; la possibilité de faire soi-même, de réparer soi-même sans être dépendant d’usines à haute technicité ou de fabricants hyper-spécialisés. En fin de compte, tout dépend des outils que nous aurons. Une imprimante 3D (High-Tech) pourrait aider à fabriquer un outil de jardinage (Low-Tech).

Troisième exemple : la société Sigfox. Cette start-up toulousaine a levé des fonds importants pour créer un réseau mondial d’objets connectés, basés sur des composants très peu chers. La connexion coûte entre 1 et 10€ par an. C’est le contre-pied total du 5G qui est extrêmement complexe, énergivore, et dont les retombées sur la santé ne sont pas connues. Et c’est un succès!

Il n’y a qu’un seul monde, celui de la « Tech », diront certains. Les informaticiens de la conférence GOTO de Copenhague aiment aussi jouer aux LEGO… La question est tout simplement : une nouvelle technologie est-elle vraiment meilleure, apporte-elle vraiment un plus par rapport au statu quo? La high-tech est innovante et souhaitable quand elle permet de surmonter une difficulté qui paraissait insurmontable jusqu’alors, et offre ainsi de nouveaux horizons, qu’ils soient socio-économiques ou environnementaux. Attention aux effets à long terme, qui sont en général largement ignorés. La low-tech est de son côté utile quand elle permet de se débarrasser d’une technique finalement complexe, chère, déshumanisante, discriminatrice, qui n’a pas tenue ses promesses, et ne les tiendra pas sur le long, voire très long terme. (L’énergie nucléaire tombe-t-elle dans cette catégorie?) La low-tech vaut par ce qu’elle permet de supprimer, de remplacer, de simplifier. La high-tech vaut par les outils tellement utiles qu’elle nous donne pour résoudre certains problèmes criants. Les problèmes de la high-tech, c’est en premier lieu son accessibilité, son côté discriminatoire, et en deuxième lieu, l’impossibilité que nous avons d’évaluer ses effets sur le long terme.

Le revenu universel, ses objectifs, son financement

Le thème du revenu universel gravite dans les cercles médiatiques depuis quelque années.  Cela serait une réponse à un certain nombre de problèmes insolubles, tels que pauvreté, chômage, cohésion sociale, complexité des aides sociales. L’idée paraît à première vue claire, mais les modalités le sont bien moins (exemple: 20 Dollars par mois au Kenya). Et qu’en est-il des raisons? De quel nouveau genre de pacte social s’agirait-il?

Le salaire universel pourrait exister dans de nombreuses variantes, allant d’un revenu citoyen remplaçant l’intégralité des aides et protections sociales, à un revenu minimum qui serait complémentaire à d’autres aides. Il y a une vision libérale du salaire minimum comme moyen de réformer (pour ne pas dire réduire) l’état providence, de gérer le chômage, de libérer les entreprises de toute contraintes liées au personnel.  En opposition, il y a une vision sociale, ou « émancipatrice » de ce revenu, comme moyen de réduire les inégalités, d’augmenté la dignité de ceux qui ont besoin d’aide, et de permettre l’épanouissement personnel de chacun.  Le revenu universel s’inscrit dans une vision du monde, un a-priori politique qu’il y a lieu de ne jamais perdre de vue, car ce contexte va déterminer les choix de financement qui seront fait. La sempiternelle question du « qui va payer » est une des premières qu’on se pose, dès que n’importe quel loi, impôt, mesure est publiquement débattue. Comme pour tout réaménagement de ressources dans une société, il y a des gagnants et des perdants.

Alors comment faire pour qu’il y ait seulement des gagnants? Et si ce n’est pas possible, du moins pour que l’arbitrage entre gagnants et perdants soit équitable et transparent?

Une étude récente de l’OCDE a montré que le revenu universel ne réduirait pas la pauvreté si les dépenses de l’état restaient constantes. Une nouvelle répartition de volume constant d’aides ne peut donc être suffisant pour produire un effet. L’expérience faite en Finlande, où le revenu de base a été distribué pendant 2 ans à 2000 chômeurs pris au hasard confirme d’une certaine façon ce que l’OCDE avait trouvé. Un simple changement des modalités de distribution des allocations (dans un but incitatif à retrouver un emploi) n’a pas aidé plus de chômeurs à trouver un emploi. Durant les deux ans, une amélioration du bien-être des chômeurs a pu être constatée, mais l’expérience a été bien trop courte et trop peu étendue pour pouvoir en tirer des conclusions. Dommage, car le monde entier avait ses yeux rivés sur la Finlande…

Le revenu de base doit donc être plutôt vu comme un investissement supplémentaire que la société serait prête à faire pour améliorer le bien-être de ceux qui sont défavorisés.

S’agissant du financement, une solution serait de faire le pari que le revenu universel crée de nouvelles richesses, des richesses n’existant pas encore à l’heure actuelle, un peu comme l’éducation, qui est un pari sur les générations futures.

Ces nouvelles richesses pourraient ressembler à celles que des emprunteurs promettent de créer en remboursant un prêt (c’est la création de liquidité que les banques font quotidiennement : on créée de l’argent sur la promesse d’une richesse future). Le revenu universel pourrait donc être financé par une création de monnaie. Ses bénéficiaires produiraient des richesses immatérielles difficilement comptabilisables, liées par exemple à la qualité de vie, à l’instruction, à l’économie informelle. Le pari serait que le retour sur investissement se ferait par un transfert vers l’économie formelle par le biais d’une amélioration de son fonctionnement basée sur la bien-être des acteurs économiques. Le fonctionnement informel de la société pourrait suppléer à certains manques de l’économie réelle, quand celle-ci est incapable d’apprécier des « petits services » ayant une valeur marchande faible ; ceci pourrait ainsi améliorer l’harmonie de la société dans son ensemble, « huiler la mécanique »…, et par là améliorer l’efficacité de l’économie formelle, ce qui justifierait la dépense. Beaucoup de petits problèmes n’auraient plus besoin d’être réglés par l’économie réelle. Le risque d’inflation serait néanmoins réel. Il y aura là des études approfondies à faire pour évaluer les possibilités de ce retour sur investissement et fixer le montant des sommes « empruntées » en ce sens.

Une autres idée serait un financement du revenu universel non pas basé sur l’activité productive, mais sur un principe d’égalité d’accès aux ressources naturelles. Nous savons aujourd’hui que la planète Terre n’est pas sans limites. Le fait que l’exploitation d’une ressource, quelle qu’elle soit, soit permise à une personne peut potentiellement réduire les chances et les possibilités qu’ont toutes les autres personnes. C’est un fait rigoureusement indépendant des raisons qui ont amené quelque privilège que ce soit. C’est vrai pour la surface de la Terre, pour les minerais, l’eau, l’air, d’autres bien immatériels tels que les ressources biologiques. Le fait de polluer les mers réduit la quantité de poisson comestible, ce qui réduit la capacité de l’ensemble de la population à se nourrir. Il émane un besoin de compensation qui doit s’apparenter au préjudice que tous subissent sur deux point de vue : le point de vue des besoins de base permettant une vie heureuse, et le point de vue des chances de pouvoir mener une activité économique rentable, pouvant profiter à soi-même et à toute la société. Toutes autres choses étant égales, les chances de succès économique d’un pêcheur vivant au bord d’une mer polluée, sont plus faibles que celles d’un pêcheur vivant au bord d’une mer saine. Du point de vue du premier pêcheur, ses possibilités de vie, d’activité économique se trouvent limitées du fait de l’activité de certaines personnes qui polluent le milieu où il travaille.

La difficulté d’un calcul basé sur ce principe vient du fait que certaines ressources sont sur-utilisées (il y a donc privation) et d’autres sont sous-utilisées (il n’y a pas privation). L’éventuelle privation de ressources dépend des conditions du lieu, et aussi d’autre facteurs, tels que la densité de population à un endroit donné, ou les activités économique déjà en place. Le calcul ne serait pas simple, mais avec les possibilités actuelles de numérisation de tous les  secteurs d’activités, on peut imaginer que c’est possible. Le revenu sera soit positif, soit négatif, suivant le fait que des privations auront été exercées, ou subies, en fonction de l’évaluation de la dette au niveau local, et mondial. (Certaines privations dues au réchauffement climatique, ou à certaines pollutions s’exercent au niveau mondial). Le revenu universel serait la compensation pour tout ce qui est prélevé en trop, pour toutes les dégradations commises.

Il se dégage ainsi une idée plus générale : une compensation pour ce qui limite les capacités d’un individu à vivre, à produire, bref à réaliser sa condition d’humain. Ainsi, chaque mètre carré de terre que je possède limite la capacité offerte au reste de l’humanité, chaque quantité d’eau que je me réserve, limite ce qui reste aux autres. Même : chaque litre d’oxygène que je respire, est un litre de moins pour le reste du monde. C’est ainsi. Il faudrait donc comptabiliser ce que chacun soustrait à la jouissance du reste, pour savoir quel revenu compensatoire il lui sera demandé de payer. Mais un tel calcul est-il possible? Calculer le prix d’un litre d’eau, le prix d’un litre d’air pur, etc. ?

Troisième idée sur le financement: l’utilisation des données personnelles par les géants de l’Internet. D’après Jaron Lanier et son livre « Who owns the future », l’information c’est de l’argent, et donc l’utilisation d’une information personnelle se devrait d’être compensée par un paiement (même infime). Dans une économie de plus en plus numérisée, l’accumulation de ces micro-paiements devrait pouvoir remplacer un salaire de base pour chaque individu. D’après le système décrit par Lanier, chacun serait libre de mettre en vente ses données, il n’y aurait pas de revenu universel automatique, mais plutôt la possibilité de toucher un pécule, qui serait proportionnel au revenu généré par d’autres à partir des données personnelles. À la comptabilité personnalisée, qui est l’option choisie par Lanier, on pourrait préférer une taxe unique, qui serait prélevée sur toutes les utilisations de données personnelles, ce qui permettrait bien sûr de financer un revenu de base. Mais les données personnelles de chacun se retrouveraient au même prix, ce qui serait en fin de compte inacceptable pour bon nombre de personnes, car il y n’y aurait plus moyen de contrôler sa sphère privée.

De manière générale, on peut se dire que le capitalisme « cognitif » (c’est à dire le capitalisme des idées : Google, Facebook, et tant d’autres), essentiellement basé sur les relations sociales, a beaucoup à profiter du bien-être de la société. Celui-ci devrait donc tout naturellement s’emparer de la thématique du revenu universel et participer à son financement. C’est à la société de ne pas laisser des acteurs privés et monopolistes dicter leurs conditions (du style : abandon total du contrôle de la sphère privée en échange d’un certain revenu).

Il y a le « comment? » du revenu universel. Il y a aussi la question du « quand? ». De manière générale, un rééquilibrage des revenus est beaucoup plus facile à faire passer quand tous les acteurs économiques sont dans une situation de prospérité. Dans une stagnation ou une crise, les réformes ne passent pas, car les acteurs s’arque-boutent sur ce qui leur reste, la peur domine les esprits et rend tout changement impossible.

Le revenu universel est une idée de tous les dangers. Ses effets ne se feront sentir que sur le long terme. Il doit s’agir d’un projet de société (le « pourquoi? ») bien plus qu’un sujet technique de redistribution des aides sociales. Aujourd’hui plus personne ne discute des bienfaits de l’école publique. Peut-être qu’il en sera de même d’ici 50 ans ou plus, pour le revenu universel.

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Ce que Google, Facebook & Co préparent, et comment on y fera face

Avouons, malgré les doutes sur le respect de la vie privée, nous avons tous un compte chez Google, Facebook, Instagram, etc.. C’est simplement trop pratique. Outre leur taille, ces géants de l’Internet ont un modèle économique en commun : ils offrent des services gratuits, grâce auxquels ils accumulent des informations sur leurs utilisateurs, et gagnent beaucoup d’argent avec une publicité bien plus précise et efficace qu’autrefois.  Il s’agit du lucratif marché de la publicité ciblée, d’un marché qui connecte des vendeurs de biens aux acheteurs les plus probables, et qui est avant tout contrôlé par les vendeurs, puisque ce sont eux qui financent le système.

Quel est le but des géants de l’Internet?  Maximiser l’efficacité de la publicité, car plus un utilisateur voyant une publicité passe à l’action (en achetant), plus cher l’espace publicitaire peut être vendu.  Il s’agit donc d’aller au-devant de nos besoins, peut-être même avant que nous en soyons conscients. Mais comment Google, Facebook & Co peuvent-ils savoir, avant même que nous ne sachions? En créant des modèles. Voici un exemple : dans le domaine des machines industrielles, on essaie depuis longtemps de prévoir comment les machines s’usent, quelles sont les pannes à venir. La maintenance prédictive se développe grâce à des modèles qui sont soit des modèles physiques de la machine, soit des modèles qui sont créés en accumulant et en analysant des données, ce qui créé de la connaissance sur les points faibles, les facteurs de risques, les pannes les plus probables. L’analyse des données, grâce aux modèles, permet de prévoir une panne, avant même que des symptômes avants-coureurs soient détectables.  L’accumulation massive de données, couplée aux modèles physiques, ou/et à de l’intelligence artificielle permet de nos jours des prédictions extrêmement précises.

Ce qui fait dans le domaine des machines existe sans doute déjà aussi dans les domaines psychologiques, sociologiques et comportementaux, qui sont eux-mêmes régis par des lois qui ont été décrites. On peut sans doute prévoir le comportement d’un personne en l’ayant suffisamment observée, en ayant suffisamment observé son milieu et comment elle inter-agit avec lui.  Même si chacun de nous pense être libre, nous sommes en fait terriblement prévisibles. L’endroit où vous irez ce soir? La musique que vous aller écouter tout à l’heure? Le repas que vous aller manger demain? Il y a bien peu de surprises.  99% de ce que nous faisons est prévisible, et peut être prévu, si on se donne la peine de chercher quels paramètres vont influer sur telle ou telle décision. Il y a fort à parier que Google, Facebook & Co ont des modèles de tous leurs utilisateurs,  et qu’ils travaillent d’arrache-pied à les améliorer.  Il y a donc quelque part dans un data center, un modèle portant notre nom, avec des données (et qui sait, un bot, une intelligence artificielle) et celui-ci s’améliore jour après jour. La puissance de calcul, la quantité de données ne sont plus une limitation. Une intelligence artificielle peut comparer ce que nous avons fait aujourd’hui à ce qui était prévu, et apprendre, apprendre, apprendre… Elle saura un jour mieux que nous ce dont nous avons envie. Et ce modèle, cet avatar pourrait être en fait très utile ; il pourrait faire des choses à notre place, nous rendre des services, car il sait ce dont nous avons envie mieux que personne. Ce serait l’assistant personnel idéal. D’ici à quelques années, les premiers assistants personnels ne tarderont pas à nous être offerts par Google, Facebook & Co.

Le problème dans tout cela, c’est qu’on peut décider de ne pas en rester juste au niveau de la prédiction, et du service. La limite entre conseil et influence n’est pas toujours très nette. N’oublions pas nos vendeurs de biens, qui financent tout ce système. Ceux-ci veulent vendre, vendre de préférence toujours plus, et avoir la certitude sur le long terme que leurs produits seront achetés. Et si Google, Facebook & Co leur garantissaient cela? Comment? Imaginons un data center contenant un milliard de modèles, c’est à dire un milliard d’avatars électroniques, parfaitement représentatifs et synchronisés avec un milliard d’individus réels.  On pourra par exemple dire, en interrogeant ces avatars, quel individus boivent de l’eau du robinet, quels sont ceux qui boivent de l’eau minérale, et quels sont ceux qui boivent du Coca-Cola. Et si maintenant la société Coca-Cola demandait à Google, Facebook & Co de faire quelque chose pour augmenter « un petit peu » sa part de marché? Rien de plus facile. L’armée d’avatars électroniques pourrait recevoir une nouvelle information, sur les effets bénéfiques du Coca-Cola sur la durée de vie. Cela  ne serait pas synchronisé avec une information du monde « réel », cela se passerait dans le data center fermé, et personne en-dehors de Google, Facebook & Co n’en saurait rien. Nos avatars se mettraient donc à commander un peu plus de Coca-Cola, et les individus réels, confiants, habitués à ce que les avatars soient parfaitement au courant de leurs besoins,  se diraient, « tient, il y a une nouvelle tendance, cela doit être sûrement justifié puisque tout le monde le fait ». En fait tout le monde boirait plus de Coca-Cola, sans que personne ne puisse dire pourquoi.

Il en va donc de la confiance.  On sait depuis longtemps que le moteur de recherche de Google n’est pas indépendant, car il favorise délibérément les services offert par Google. Le plus de confiance sera donnée à Google, Facebook & Co, le plus il y aura de risques qu’ils en abusent, car leur modèle économique les pousse à vouloir satisfaire les annonceurs. Pourtant, in fine, ce sont les consommateurs qui paient pour la publicité, au travers du prix des biens qu’ils achètent. Alors que faire? Quand les assistants électroniques viendront, il faudra s’assurer de leur indépendance ; ne jamais suivre les conseils d’un assistant gratuit. Le mieux sera d’utiliser un assistant crée par une organisation non engagée sur le marché de la publicité, ce sera un gage d’indépendance, et de transparence sur les information que cet assistant reçoit.

Pour ceux qui ont du mal à y croire, ou qui aimeraient en savoir plus, Jaron Lanier, un personnage très en vue de de la Silicon Valley vient de publier une livre sur le sujet :  « dix arguments pour effacer votre comptes chez les media sociaux » : Je ne l’ai pas lu, mais j’imagine très bien ce qu’il peut contenir. Sans doute une description de la marche irrépressible de Facebook et Google vers leur seul et unique but:  la création d’un empire de contrôle du consommateur.  C’est leur façon de faire du business, c’est ainsi, et avec les technologies actuelles, ils peuvent y arriver.

On pourrait désespérer, ou alors… On pourrait aussi imaginer quelque chose de complètement différent : inverser la situation, inverser le sens du commerce en passant d’un marché influencé par l’offre, à un marché influencé par la demande. Notre armée d’avatars (qui sait tout sur nos aspirations) pourrait être en permanence à la recherche d’un certain nombre de produits, et passer des appels d’offres (des « commandes groupées ») chez des fournisseurs les plus adéquats. Chaque fournisseur ou producteur d’un bien pourrait recevoir une liste de demandes, et pourrait décider d’y répondre, ou non, de la même manière qu’un consommateur exposé chaque jour à une pléthore d’annonces publicitaires doit sans arrêt prendre des décisions.  Ce modèle de marché n’est pas vraiment possible à l’heure actuelle, en raison de la centralisation de la production. Mais dans un monde où la production serait plus individuelle, plus flexible, pourquoi pas?