Ce que Google, Facebook & Co préparent, et comment on y fera face

Avouons, malgré les doutes sur le respect de la vie privée, nous avons tous un compte chez Google, Facebook, Instagram, etc.. C’est simplement trop pratique. Outre leur taille, ces géants de l’Internet ont un modèle économique en commun : ils offrent des services gratuits, grâce auxquels ils accumulent des informations sur leurs utilisateurs, et gagnent beaucoup d’argent avec une publicité bien plus précise et efficace qu’autrefois.  Il s’agit du lucratif marché de la publicité ciblée, d’un marché qui connecte des vendeurs de biens aux acheteurs les plus probables, et qui est avant tout contrôlé par les vendeurs, puisque ce sont eux qui financent le système.

Quel est le but des géants de l’Internet?  Maximiser l’efficacité de la publicité, car plus un utilisateur voyant une publicité passe à l’action (en achetant), plus cher l’espace publicitaire peut être vendu.  Il s’agit donc d’aller au-devant de nos besoins, peut-être même avant que nous en soyons conscients. Mais comment Google, Facebook & Co peuvent-ils savoir, avant même que nous ne sachions? En créant des modèles. Voici un exemple : dans le domaine des machines industrielles, on essaie depuis longtemps de prévoir comment les machines s’usent, quelles sont les pannes à venir. La maintenance prédictive se développe grâce à des modèles qui sont soit des modèles physiques de la machine, soit des modèles qui sont créés en accumulant et en analysant des données, ce qui créé de la connaissance sur les points faibles, les facteurs de risques, les pannes les plus probables. L’analyse des données, grâce aux modèles, permet de prévoir une panne, avant même que des symptômes avants-coureurs soient détectables.  L’accumulation massive de données, couplée aux modèles physiques, ou/et à de l’intelligence artificielle permet de nos jours des prédictions extrêmement précises.

Ce qui fait dans le domaine des machines existe sans doute déjà aussi dans les domaines psychologiques, sociologiques et comportementaux, qui sont eux-mêmes régis par des lois qui ont été décrites. On peut sans doute prévoir le comportement d’un personne en l’ayant suffisamment observée, en ayant suffisamment observé son milieu et comment elle inter-agit avec lui.  Même si chacun de nous pense être libre, nous sommes en fait terriblement prévisibles. L’endroit où vous irez ce soir? La musique que vous aller écouter tout à l’heure? Le repas que vous aller manger demain? Il y a bien peu de surprises.  99% de ce que nous faisons est prévisible, et peut être prévu, si on se donne la peine de chercher quels paramètres vont influer sur telle ou telle décision. Il y a fort à parier que Google, Facebook & Co ont des modèles de tous leurs utilisateurs,  et qu’ils travaillent d’arrache-pied à les améliorer.  Il y a donc quelque part dans un data center, un modèle portant notre nom, avec des données (et qui sait, un bot, une intelligence artificielle) et celui-ci s’améliore jour après jour. La puissance de calcul, la quantité de données ne sont plus une limitation. Une intelligence artificielle peut comparer ce que nous avons fait aujourd’hui à ce qui était prévu, et apprendre, apprendre, apprendre… Elle saura un jour mieux que nous ce dont nous avons envie. Et ce modèle, cet avatar pourrait être en fait très utile ; il pourrait faire des choses à notre place, nous rendre des services, car il sait ce dont nous avons envie mieux que personne. Ce serait l’assistant personnel idéal. D’ici à quelques années, les premiers assistants personnels ne tarderont pas à nous être offerts par Google, Facebook & Co.

Le problème dans tout cela, c’est qu’on peut décider de ne pas en rester juste au niveau de la prédiction, et du service. La limite entre conseil et influence n’est pas toujours très nette. N’oublions pas nos vendeurs de biens, qui financent tout ce système. Ceux-ci veulent vendre, vendre de préférence toujours plus, et avoir la certitude sur le long terme que leurs produits seront achetés. Et si Google, Facebook & Co leur garantissaient cela? Comment? Imaginons un data center contenant un milliard de modèles, c’est à dire un milliard d’avatars électroniques, parfaitement représentatifs et synchronisés avec un milliard d’individus réels.  On pourra par exemple dire, en interrogeant ces avatars, quel individus boivent de l’eau du robinet, quels sont ceux qui boivent de l’eau minérale, et quels sont ceux qui boivent du Coca-Cola. Et si maintenant la société Coca-Cola demandait à Google, Facebook & Co de faire quelque chose pour augmenter « un petit peu » sa part de marché? Rien de plus facile. L’armée d’avatars électroniques pourrait recevoir une nouvelle information, sur les effets bénéfiques du Coca-Cola sur la durée de vie. Cela  ne serait pas synchronisé avec une information du monde « réel », cela se passerait dans le data center fermé, et personne en-dehors de Google, Facebook & Co n’en saurait rien. Nos avatars se mettraient donc à commander un peu plus de Coca-Cola, et les individus réels, confiants, habitués à ce que les avatars soient parfaitement au courant de leurs besoins,  se diraient, « tient, il y a une nouvelle tendance, cela doit être sûrement justifié puisque tout le monde le fait ». En fait tout le monde boirait plus de Coca-Cola, sans que personne ne puisse dire pourquoi.

Il en va donc de la confiance.  On sait depuis longtemps que le moteur de recherche de Google n’est pas indépendant, car il favorise délibérément les services offert par Google. Le plus de confiance sera donnée à Google, Facebook & Co, le plus il y aura de risques qu’ils en abusent, car leur modèle économique les pousse à vouloir satisfaire les annonceurs. Pourtant, in fine, ce sont les consommateurs qui paient pour la publicité, au travers du prix des biens qu’ils achètent. Alors que faire? Quand les assistants électroniques viendront, il faudra s’assurer de leur indépendance ; ne jamais suivre les conseils d’un assistant gratuit. Le mieux sera d’utiliser un assistant crée par une organisation non engagée sur le marché de la publicité, ce sera un gage d’indépendance, et de transparence sur les information que cet assistant reçoit.

Pour ceux qui ont du mal à y croire, ou qui aimeraient en savoir plus, Jaron Lanier, un personnage très en vue de de la Silicon Valley vient de publier une livre sur le sujet :  « dix arguments pour effacer votre comptes chez les media sociaux » : Je ne l’ai pas lu, mais j’imagine très bien ce qu’il peut contenir. Sans doute une description de la marche irrépressible de Facebook et Google vers leur seul et unique but:  la création d’un empire de contrôle du consommateur.  C’est leur façon de faire du business, c’est ainsi, et avec les technologies actuelles, ils peuvent y arriver.

On pourrait désespérer, ou alors… On pourrait aussi imaginer quelque chose de complètement différent : inverser la situation, inverser le sens du commerce en passant d’un marché influencé par l’offre, à un marché influencé par la demande. Notre armée d’avatars (qui sait tout sur nos aspirations) pourrait être en permanence à la recherche d’un certain nombre de produits, et passer des appels d’offres (des « commandes groupées ») chez des fournisseurs les plus adéquats. Chaque fournisseur ou producteur d’un bien pourrait recevoir une liste de demandes, et pourrait décider d’y répondre, ou non, de la même manière qu’un consommateur exposé chaque jour à une pléthore d’annonces publicitaires doit sans arrêt prendre des décisions.  Ce modèle de marché n’est pas vraiment possible à l’heure actuelle, en raison de la centralisation de la production. Mais dans un monde où la production serait plus individuelle, plus flexible, pourquoi pas?