La guerre éternelle : une dystopie bien réelle

« Jamais rien ne meurt » analyse de manière pertinent les mécanismes de la guerre et leur influence sur la conscience collective

Revenant d’un séjour au Vietnam, je viens de finir « Jamais rien ne meurt », le livre de Viet Thanh Nguyen, un universitaire américain dont les parents ont émigré aux États-Unis après la guerre. Cet essai sur la mémoire et les traumatismes est admirable, émouvant, et répond à bon nombre de questions que je me posais depuis longtemps, non pas sur le Vietnam, mais plutôt sur la guerre en général. Qu’est ce que la guerre, pourquoi accepte-t-on la guerre, et pourquoi tout cela semble-t-il faire partie de nous? Et mes pensées se télescopent avec l’actualité. Je constate la réalité si « bizarre » pour moi de cette manifestation de partisans des armes à feu à Richmond en Virginie (USA), dont la photo est ci-dessous. Oui, de manière frappante, Viet Thanh Nguyen a raison: il parle dans son essai de « guerre éternelle », une dystopie, le mythe fondateur d’ un système qui se perpétue à travers les états, les peuples et les générations.

Début 2020, plusieurs mouvements d’extrême droite et groupes paramilitaires ont annoncé leur participation à cette « Journée de lobbying » JIM URQUHART / REUTERS
« La guerre éternelle », récit de science fiction où Joe Haldeman, ancien soldat du Vietnam, décortique les mécanismes de la guerre

« La guerre éternelle », c’est tout d’abord le titre d’un roman de science fiction de Joe Haldeman, un ancien combattant du Vietnam. C’est la dénonciation d’un système militariste qui considère les hommes comme les pions dans un jeu d’échec. Joe Haldeman décortique le système de la guerre, où les soldats sont la plupart du temps de pauvres victimes. Il va cependant moins loin que Viet Thanh Nguyen, pour qui personne n’est innocent, et pour qui l’existence même du métier de soldat est le signe d’une société qui a renoncé à son humanité.

La « guerre éternelle » est pour moi le terme qui pourrait désigner et dénoncer de manière très juste un mythe de notre monde moderne. L’amplification et la perpétuation que nos sociétés ont appliqué aux bonnes vieilles guerres « patriotiques » et « libératoires » d’autrefois ; une nouvelle version du « nous contre eux », ou des « bons contre les méchants » (les méchants étant les autres, quels qu’ils soient) ; un mythe utile à toute organisation politique ayant un besoin permanent d’entretenir sa force, ses structures et de motiver ses membres à se sacrifier pour elle.

Pour en revenir à Viet Thanh Nguyen, la vérité de toute guerre est simple : tous sans exception se battent contre un ennemi imaginaire, un ennemi abstrait qui n’existe aucunement en réalité. La guerre amène à se représenter l’ennemi comme inhumain, de manière à pouvoir le tuer et à se voir soi-même comme humain de manière à être victime ou héros. Ce mécanisme de déshumanisation se perpétue, même quand une guerre se termine, de manière à préparer les guerres suivantes. Nos soldats seront toujours des héros, leurs opposants toujours des méchants. Viet Thanh Nguyen argumente que les guerres des États-Unis au Koweït, en Irak, en Afghanistan ne sont que les prolongements de la guerre du Vietnam, qui elle-même, était le prolongement de la guerre de Corée. L’Amérique est donc un pays en guerre permanente et le fait que certains Américains veuillent s’armer avec des armes de guerre, jouer sans cesse à la guerre en défendant ce « droit » avec acharnement est donc parfaitement compréhensible. Il ne s’agit pas seulement d’une culture de la violence, ou d’une tradition des armes à feu remontant au Far-West. Ils s’arment parce que c’est nécessaire, parce qu’ils ont peur, parce que l’ennemi peut être partout. Évidemment que l’ennemi est partout, Viet Thanh Nguyen nous montre dans sont livre qu’il est précisément en chacun de nous.

Les films de guerre servis en masse par Hollywood (où le héros est finalement un tueur) sont aussi une facette de cette guerre éternelle. Les médias sont les alliés du complexe militaro-industriel, dont Eisenhower, dans les années 50, avait déjà compris l’importance disproportionnée. Les racines de cette puissance sont profondes, car elles sont en grande partie culturelles et identitaires.

Moi-même issu d’une région où de nombreuses guerres ont laissé des traces, je me suis souvent demandé : pourquoi tout ces monuments, pourquoi tant de célébrations? Quand on est de l’autre côté du Rhin, et qu’on voit la même profusion de monuments aux morts, on se dit: en voilà beaucoup d’autres encore qui sont morts pour l’honneur… Mais pour l’honneur de qui, de quoi? Ces hommes sont morts par le simple fait d’avoir vécu dans des réalités séparées, comme les civilisations ennemies de Joe Haldeman.

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