La renaissance du dirigeable?

L’histoire du dirigeable est ancienne, et elle semble définitivement faire partie du passé, tant l’avion et l’hélicoptère dominent les cieux.  Il en reste une certaine iconographie, une nostalgie d’une époque légendaire où voyager lentement en regardant le paysage, c’était quelque chose… C’était l’époque des transatlantiques aux salons luxueux, de l’Orient Express, l’époque où il y avait du rêve dans le voyage.

Pour ce qui est du dirigeable, l’accident du Hindenburg en 1937 eut un grand impact médiatique.  (Ci-contre,  les restes après l’incendie ravageur qui suivit l’explosion, la plupart des victimes étant brûlées par le carburant des moteurs, pas par l’hydrogène, dont les flammes s’élevèrent très vite dans les airs.) Cet accident n’aura été pas plus qu’un symbole,  le déclin du dirigeable étant à cette équoque déjà bien engagé. Vers 1920, les militaires ne s’intéressaient déjà plus à ces vaisseaux que pour des missions de reconnaissance en mer. En 1927, Charles Lindberg traversait l’Atlantique d’une traite. En 1938, la première ligne d’aviation commerciale reliait Berlin et New York.  Les dirigeables étaient trop gros, trop lents, trop fragiles, trop sensibles aux vents et aux tempêtes. Et que de difficultés pour amarrer un dirigeable et le maintenir au sol!

Il y eut bien sûr au cours des décennies suivantes quelques évolutions techniques (nouveau matériaux, nouveaux moteurs), et des poignées de passionnés qui continuèrent à faire tourner une industrie à un niveau très restreint, voire confidentiel. Nouveau revers pour les dirigeables: la malheureuse faillite de l’entreprise allemande « Cargolifter » en 2001, qui déçut bon nombre de ceux qui avaient cru à une renaissance du plus léger que l’air pour le transport de charges lourdes et encombrantes. Cargolifter fût lâché par les potentiels clients, les banques, ainsi que par le Land de Brandebourg, qui refusa de s’engager dansun plan de sauvetage. De Cargolifter, il ne reste près de Berlin  (photo ci-contre) qu’un hangar géant, transformé en paradis tropical.

Et pourtant, on observe peut-être les prémices d’une nouvelle renaissance, la  « n-ième » diront certains, mais qui pourrait cette fois être bien réelle. Des fabricants d’éoliennes ont récemment contacté des représentants de l’industrie du dirigeable pour initier un dialogue au sujet du transport des pales. Les pales d’éoliennes sont en effet de plus en plus grandes, car, pour augmenter la production d’énergie, il faut augmenter la surface aérodynamique (à puissance installée égale, augmenter la taille des pales améliore le rendement de la machine quand le vent est faible). Les constructeurs d’éoliennes sont tous lancés dans une course à la taille, qui est pour eux existentielle. Il y a quelques années, 50 mètres était environ la norme pour une pale, aujourd’hui on approche des 70, voire 80 mètres. Et il devient très difficile de transporter ces objets sur des routes normales. Diviser les pales en deux est faisable techniquement, mais augmente les coûts de production et complexifie le processus de montage. Ainsi donc, la solution ne peut venir que des airs, et celle-ci permettrait également de construire des fermes éoliennes dans des lieux jusqu’à maintenant inaccessibles. Le marché serait sans doute significatif, et la charge de travail prévisible sur plusieurs années, ce qui pourrait achever de convaincre des investisseurs. Dans l’aéronautique, on sait que les projets ont toujours tendance à coûter plus que prévu, un marché solide est donc une garantie qui éviterait qu’une banque refuse de rallonger un crédit à la première difficulté (comme c’est arrivé à Cargolifter).

Deuxième changement qui pourrait favoriser les dirigeables: les drones. Ceux-ci ont une autonomie limitée, qui a peut de chance d’augmenter beaucoup dans les années qui viennent. Si l’on veut opérer une flottille de drones (pour livrer des paquets par exemple), la meilleure idée est de les baser sur une plate-forme elle-même mobile, flottant dans les airs. C’est l’idée d’Amazon, qui a déposé un brevet en ce sens ; le dirigeable devenant à la fois une sorte d’entrepôt volant, et un vaisseau-mère pour la flottille de drones. On ne sait pas encore ce qu’Amazon compte faire, et si des études sérieuses ont vraiment commencé.

Troisième changement, à teneur également technologique: l’amarrage. Les constructeurs de dirigeables actuels ont trouvé un moyen de fixer leurs aéronefs au sol, grâce à des jupes munies d’un dispositif d’aspiration. Ainsi le dirigeable peut se stabiliser n’importe où, pourvu que le sol soit plat : béton, terre, eau, glace. C’est un grand plus pour les capacités opérationnelles.

Entrepôts volants, grues volantes, ce sont là des projets utilitaires plutôt loin de l’utopie originelle du dirigeable flottant majestueusement au-dessus des paysages les plus inaccessibles, tel un paquebot des airs, tandis que ses passagers, attablés à un restaurant panoramique, jettent un coup d’œil au menu de la soirée. Il y a pourtant bien cet engouement nouveau pour les croisières maritimes, suscité par des bateaux toujours plus grands et luxueux. (Une exposition à Londres se concentre sur le romantisme des croisières transocéaniques). Se pourrait-il que cet engouement passe aussi par les airs?

Nucléaire: la fin d’une utopie techno-scientifique

C’était en 1993, ou 1992, je ne sais plus très bien. Avec un groupe d’étudiants, je visitais la centrale nucléaire de Golfech, sur la Garonne. Elle était  à l’époque flambant neuve, impressionnante : deux énormes tranches de 1,3 Gigawatt avec les tours réfrigérantes les plus hautes d’Europe. C’était la promesse de l’indépendance énergétique de la France, de sa souveraineté industrielle, et surtout la promesse d’une énergie abondante, bon marché. Pour un jeune ingénieur comme moi, que de promesses plus convaincantes les une que les autres.

Depuis 1950, l’utopie des bienfaits illimités du nucléaire a été alimentée par de nombreux mythes.  Il y eu d’abord celui de l’ubiquité. Les ingénieurs, les auteurs de science fiction virent tout fonctionner au nucléaire: les voitures, les horloges, les bateaux, les fusées… Tout! Certains ingénieurs de l’aéronautique imaginèrent très sérieusement construire des avions avec des réacteurs à bord. Plus besoin de faire le plein! Puis, puisque le nucléaire sembla finalement devoir se cantonner à la production d’électricité, on se mit à électrifier à tour de bras : en France, le chauffage électrique devint la norme, puisqu’on pensait que le prix de l’électricité resterait ridiculement bas. On négligea que le prix de l’uranium n’est pas forcément stable (il faut importer); que le démantèlement des centrales avait un prix non négligeable (l’Allemagne a déjà fait l’amère expérience du démantèlement de centrales dans l’ex-RDA), et que le stockage des déchets serait une hypothèque prise sur les générations futures.

Un mythe qui contribua très fortement à l’utopie du nucléaire fût également celui du recyclage. On pensa des années durant (preuves scientifiques à l’appui), que l’intégralité des déchets de fission était recyclable, et donc pendant longtemps, la France investit des sommes énormes dans des usines de retraitement, qui n’arrivèrent pourtant jamais à éliminer tous les déchets. Et que fit-on alors des déchets? Ils furent exportés. Les conteneurs rouillent toujours et encore quelque par sur une grande aire de stockage en Sibérie (un jour les Russes auront peut-être l’idée d’aller les couler en mer), et actuellement on essaie de trouver un puits, ou une mine pour le stockage long terme en France.

Dernier mythe du nucléaire, et non des moindres: la séparation entre activités civiles et militaires. Pour faire une bombe il faut de l’uranium enrichi, donc maîtriser la technique de l’enrichissement, et celui qui détient cette technique pour du combustible de centrale peut la développer facilement,  et en quelques années en faire un usage militaire. Voulons-nous donc exporter le modèle français vers tous les pays du monde? Non, sans doute pas. Dans le climat géopolitique actuel, fait de rivalités, de conflits, d’instabilités, la banalisation du nucléaire n’est pas souhaitable.

Et depuis des années, la filière française du nucléaire ne va pas bien. Elle vit même un lent et inéluctable déclin. La nécessité de maîtriser le risque industriel fait augmenter la complexité, fait déraper les coûts (l’on obtient des projets comme l’EPR de Flamanville, ou l’EPR finlandais, qui sont des casse-têtes techniques et des gouffres financiers faramineux). Autre facteur critique : l’endettement de nombreux opérateurs traditionnels, qui ne fait que de se détériorer (que ce soit EDF, empêtré dans des marchés régulés et une internationalisation poussé à outrance, EON, RWE en Allemagne, ENEL en Italie qui ont une santé financière vacillante, ou ESKOM en Afrique du Sud, qui, grevé de dettes, abandonne ses projets dans le nucléaire). De plus, on se demande vraiment qui va devoir (et pouvoir…) payer le démantèlement des centrales ; en France on n’en parle peu (on n’en a d’ailleurs pas encore démantelé une seule) ; en Allemagne, un fond a été créé, mais beaucoup de gens soupçonnent que les sommes mises de côté ne suffiront jamais. Et l’on voit maintenant Areva, l’ex-champion du nucléaire, qui annonce qu’après des années de restructuration, un nouveau changement de cap stratégique est nécessaire : la scission des activités concernant le combustible et la construction de centrales. C’est un retour en arrière qui annonce une fin qui est proche : on se sépare pour mieux survivre…

Finalement deux derniers signes sonnent le glas du nucléaire en France, et sans aucun doute en Europe. D’abord, l’annonce de la construction du réacteur Hinkey Point C en Angleterre, à un prix du kilowatt-heure (garanti à EDF) très largement supérieur au prix normal. Alors que l’on prévoit que le prix de l’électricité éolienne va passer à 3 cents du Kilowatt-heure d’ici à 2020, les consommateurs britanniques, eux, paieront 11 cents pendant trente ans pour de l’électricité nucléaire!  Ensuite, deuxième signe : la politique actuelle du gouvernement français, résolument favorable aux éoliennes, dans un pays, qui pendant des décennies, se voulait le champion de l’énergie atomique. Le tournant a été pris. Il faudra du temps pour que cette politique fasse ses effets, mais on peut parier que dans une dizaine, ou quinzaine d’années,  il sera plus économique de fermer une centrale, plutôt que de la laisser marcher, à cause du coût bien plus bas de l’électricité éolienne ou solaire. Le seul problème : une centrale nucléaire coûte aussi de l’argent quand elle ne marche pas.

L’utopie de l’énergie illimitée à moindre coût va revivre, ce sera avec les énergies renouvelables.